Anton Tchekhov
Tant en théâtre qu’en littérature et dans ses autres domaines d’activité, ce que Tchekhov a accompli en ses quarante-quatre ans d’existence est étonnant : pratique médicale, activisme social, plus de 588 récits et nouvelles, ainsi que seize pièces de théâtre dontles quatre dernières ont changé le cours de la dramaturgie internationale.
L’homme de théâtre Paul Hébert aimait raconter l’anecdote suivante : à la suite de la diffusion en téléthéâtre des Trois soeurs en 1963, Radio‑Canada avait reçu une lettre en provenance d’un petit village isolé du Nouveau‑Brunswick qui essentiellement disait : « pouvez-vous demander d’autres téléthéâtres à monsieur Tchekhov, il comprend ce que nous vivons ici ».
Le théâtre de Tchekhov est fraternel. Sophocle, Shakespeare, Molière, Ibsen, Brecht et Beckett comprennent le monde — et parfois même la vie. Tchekhov nous comprend, nous. Il nous comprend dans ce que l’on connaît de soi-même et que l’on cache. Il nous fait entrevoir, et parfois nous révèle, ces choses étranges que l’on ignorait de soi. Les personnages de ses pièces, qui pour exister ont pourtant besoin à chaque mise en scène d’un nouvel interprète pour les incarner, nous semblent davantage des personnes réelles que des personnages de fictions.
Olga, Macha, Irina, Andreï, le vieux Tchéboutykine, Verchinine, mais aussi Vania, Astrov, Lioubov Andreevna, Trigorine sont analogues aux gens que l’on connaît dans nos vies : terriblement réels dans leurs imperfections, leurs aspirations, leurs qualités, leurs préoccupations, leurs désirs, leurs idées, leurs rêves.
Pour les gens de théâtre, quelle que soit leur culture ou leur langue, Tchekhov est une référence commune, une contrée aimée, connue, partagée autant que Shakespeare et Beckett. Il sait nous atteindre profondément, mystérieusement. L’une des plus belles pièces québécoises des dernières années, Lentement la beauté, écrite par un collectif de Québec, ne raconte-t-elle pas comment un homme, qui a gagné au bureau une paire de billets pour Les trois soeurs, voit changer son regard sur le monde, son regard sur la vie, son regard sur lui‑même ?